« Nous sommes tous entrés dans l’Église en tant que laïcs » (Lettre du pape François)
Extraits de la lettre du pape François au cardinal Ouellet, président de la commission pontificale pour l’Amérique latine
Cette lettre du pape est remarquable. On croirait lire le père Fillère ou l’abbé Richard concernant la place pleine et entière des laïcs au sein de l’Église, le « Peuple de Dieu », avec leur fameux « Nous, Chrétiens » pour stimuler les laïcs et leur faire prendre conscience de la grandeur de leur baptême qui leur a permis d’être incorporés au Christ par l’Église. Vous trouverez ci-dessous des extraits de la lettre du pape François du 19 mars 2016[1] au cardinal Ouellet. Bien qu’écrite surtout pour le contexte latino-américain, elle démontre que Vatican II a eu une juste vision de la place des laïcs dans l’Église et du rôle qu’ils doivent avoir dans le monde. Ils ne peuvent pas être à la remorque des évêques et des prêtres et ont tout leur rôle à jouer à la place qui est la leur. Comme l’a écrit saint François de Sales dans son Introduction à la vie dévote (Ch. 3, §1) : « Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits, chacune « selon son genre », ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu’ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vacation. »
Vincent Terrenoir
[1] Texte intégral sur : http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/Pape/Le-clericalisme-conduit-a-la-fonctionnarisation-des-laics-ecrit-le-pape-Francois-au-cardinal-Ouellet-2016-04-28-1200756553
[…] Je voudrais m’arrêter sur ce qui a été partagé à ce sujet et continuer ainsi la réflexion actuellement menée, afin que l’esprit de discernement et de réflexion « ne tombe pas dans l’oreille des sourds » ; pour qu’il nous aide et nous encourage à mieux servir le peuple saint des fidèles de Dieu.
C’est à partir de cette image-là que j’aimerais baser notre réflexion sur l’activité des laïcs dans notre contexte latino-américain. Évoquer le peuple saint des fidèles de Dieu, c’est évoquer l’horizon vers lequel nous sommes invités à regarder et à réfléchir. Le peuple saint des fidèles de Dieu est l’objet vers lequel nous, pasteurs, sommes continuellement invités à nous tourner, que nous sommes censés assister, protéger, soutenir et servir. Un père est en soi inconcevable sans ses enfants. Un homme peut être un très bon travailleur, professionnel, mari, ami, mais ce qui lui donne le visage de père, ce sont ses enfants. Cela vaut pour nous également ; nous sommes des pasteurs. Un pasteur est inconcevable sans un troupeau qu’il est appelé à servir. Le pasteur est pasteur d’un peuple, c’est le point de départ de son service (sacerdoce). Combien de fois, vous allez de l’avant en laissant beaucoup de gens loin derrière, alors que c’est souvent parmi eux que se trouve et bat le cœur du peuple. […]
[…] Regarder le Peuple de Dieu, c’est rappeler que nous sommes tous entrés dans l’Église en tant que laïcs. Le premier sacrement, qui a scellé à jamais notre identité et dont nous devrions être fiers à jamais, est le baptême. Par lui et par l’onction du Saint-Esprit, les fidèles sont consacrés comme une maison spirituelle, comme un saint sacerdoce (LG, n. 10). Notre première et fondamentale consécration prend ses racines dans notre baptême. Nul n’a été baptisé prêtre ou évêque. Nous avons été baptisés laïcs ; c’est le signe indélébile que jamais personne ne peut éliminer. Nous devons toujours nous rappeler que l’Église n’est pas une élite de prêtres, de consacrés et d’évêques ; mais que nous formons tous ensemble le peuple saint des fidèles de Dieu. Oublier cela entraîne des risques et des déformations tant au niveau de notre vie personnelle que communautaire dans l’exercice de notre ministère que l’Église nous a confié. Nous sommes, comme l’a souligné le concile Vatican II, le Peuple de Dieu, dont l’identité est la dignité et la liberté des enfants de Dieu, et dans les cœurs desquels habite l’Esprit Saint comme dans un temple (LG, n. 9). Le saint peuple des fidèles de Dieu est oint de la grâce du Saint-Esprit ; il a donc la capacité de réfléchir, de penser, d’évaluer, de discerner. Nous devons par conséquent être très attentifs à cette onction.
À mon tour, je dois ajouter un autre élément que je considère comme le résultat d’une mauvaise expérimentation de l’ecclésiologie soulevée par Vatican II. Nous ne pouvons pas parler du thème des laïcs en ignorant l’une des déformations les plus importantes à laquelle l’Amérique latine doit faire face, et à laquelle je demande une attention spéciale, à savoir le cléricalisme. Cette attitude non seulement annule la personnalité des chrétiens, mais a tendance à diminuer et dévaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a mis dans le cœur de notre peuple. Le cléricalisme conduit à la fonctionnarisation des laïcs, les reléguant au rang de « garçons de course », bloquant ainsi les initiatives diverses, les efforts et l’audace, si je puis dire, nécessaires pour apporter la Bonne Nouvelle de l’Évangile dans tous les domaines de la vie sociale et surtout politique. Loin de booster les différentes contributions, propositions, le cléricalisme éteint lentement la flamme prophétique dont toute l’Église est appelée à témoigner au sein de son peuple. Le cléricalisme oublie que la visibilité et la nature sacramentelle de l’Église appartiennent à tout le peuple de Dieu (cf. LG, n. 9-14), et non seulement à quelques élus et illuminés.
Il y eut un phénomène très intéressant qui a eu lieu dans notre Amérique latine. Je crois même que c’est l’un des rares endroits où le peuple de Dieu était souverain de l’influence du cléricalisme : je parle de la pastorale populaire. Il fait partie des rares espaces où le peuple (y compris ses pasteurs) et le Saint-Esprit se sont retrouvés sans le cléricalisme qui cherche à contrôler et freiner l’action de Dieu sur eux. Nous savons que la pastorale populaire, ainsi que Paul VI a écrit dans l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi a certainement ses limites. Elle est fréquemment exposée à de nombreuses distorsions de la religion, mais elle continue, quand elle est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, à véhiculer beaucoup de valeurs. Elle reflète une soif de Dieu que seules les personnes humbles et pauvres peuvent connaître. Elle rend la personne capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, quand il s’agit de manifester sa foi. Elle incorpore un sens profond des attributs inhérents à Dieu : sa paternité, sa providence et sa présence aimante et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement aussi intenses chez ceux qui n’ont pas de religion : la patience, le sens de la croix dans la vie quotidienne, le détachement, l’ouverture aux autres, la dévotion. Compte tenu de ces aspects, nous l’appelons volontiers « piété populaire », ce qui veut dire, la religion du peuple, plutôt que religiosité… Bien orientée, cette religiosité populaire peut, de manière croissante, constituer pour nos peuples une vraie rencontre avec Dieu en Jésus-Christ (En n°48). Le pape Paul VI a utilisé une expressions que je considère clé : « quand on accepte d’écouter et d’orienter la foi de notre peuple, ses orientations, ses recherches, ses désirs, ses aspirations, on finit par manifester une présence authentique de l’Esprit ». Ayons confiance en notre peuple, en sa mémoire et en son « flair ». Ayons confiance en l’Esprit Saint qui agit en eux et avec eux, et que cet Esprit n’est pas la « propriété » exclusive de la hiérarchie ecclésiale.
[…] On ne peut donner des directives généralisées pour l’organisation du peuple de Dieu dans sa vie publique. L’inculturation est un processus que les pasteurs sont appelés à encourager pour pousser les gens à vivre leur foi là où ils sont et avec les personnes qu’ils côtoient. L’inculturation c’est apprendre à découvrir comment une certaine partie de la population aujourd’hui, dans l’ici et maintenant de l’histoire, vit, célèbre et annonce sa foi, dans le contexte des idiosyncrasies particulières et des problèmes auxquels elle doit faire face, ainsi que toutes les raisons qu’elle a de célébrer. L’inculturation est une œuvre d’artisan et non une série de processus consacrés à la production en usine pour « fabriquer des mondes ou des espaces chrétiens ».
[…] Les fidèles laïcs font partie du peuple saint de Dieu et par conséquent sont les protagonistes de l’Église et du monde, que nous sommes appelés à servir et non à être servis par eux. […]
Pape François