Le Carême, un temps fort pour célébrer et expérimenter la Miséricorde (1)
I. Le Carême, un temps fort pour célébrer et expérimenter la Miséricorde aux entrailles »
Comme chaque année, nous voici repartis pour six semaines de préparation pénitentielle aux fêtes de Pâques. Quarante jours de prière, de jeûne et de partage que certains d’entre nous commencent avec beaucoup de ferveur en entendant l’évangile du mercredi des Cendres (Mt 6), et que beaucoup, semble-t-il, achèvent dans la molle déception des résolutions inabouties… Il y a de quoi ne pas être très enthousiaste à l’idée d’entrer à nouveau en Carême…
Haut les cœurs !
En cette année du Jubilé de la Miséricorde, pourtant, le pape François nous demande d’engager un profond renouvellement de notre vie chrétienne. Il y a presque un an déjà, le 11 avril 2015, une semaine tout juste après Pâques, le Saint-Père songeait déjà au Carême 2016. Dans « la bulle d’indiction du Jubilé », Misericordiae vultus (Le Visage de la Miséricorde), il nous demandait de faire en sorte que « le Carême de cette Année Jubilaire [soit] vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu » (MV 17). Et pour s’assurer que cet appel soit bien entendu, le pape l’a réitéré dans son message présenté le 26 janvier dernier, nous exhortant à ne pas laisser « passer en vain ce temps de Carême favorable à la conversion ! »
« Voici le moment favorable »
François, comme toujours, ne mâche pas ses mots. « Voici le moment favorable pour changer de vie ! » (MV 19), lance-t-il à propos du Jubilé, et plus particulièrement encore à propos du Carême jubilaire. Ses termes sont empruntés à la deuxième lecture de la messe des Cendres (2 Co 6, 2) : « Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut », explique saint Paul aux chrétiens de Corinthe, pour leur faire comprendre que la miséricorde de Dieu est pleinement à l’œuvre depuis que Jésus est mort et ressuscité, et qu’ils ne doivent pas attendre pour se convertir. Nous ne sommes pas les maîtres du temps. Personne, parmi nous, ne sait ce que sera sa vie demain. L’Église l’enseigne sans détour : le temps de l’accueil ou du rejet de l’amour de Dieu, c’est celui que Dieu nous donne ici-bas, et ce temps n’est pas indéfini : un jour, il prendra fin (Catéchisme de l’Église catholique, 1021). Bien sûr, il n’est jamais trop tard pour se tourner vers Dieu, mais on ne vit qu’une fois, et c’est dans le temps de cette vie terrestre que peut s’opérer ce retournement, même si c’est dans les tout derniers instants, comme le montre l’histoire du bon larron (Luc 23, 39-43).
La banalité d’une vie sans Dieu
J’ai lu un jour une petite bande dessinée humoristique qui présentait la vie d’un personnage quelconque. On y voyait un enfant naître, grandir, devenir adulte, travailler, se marier, etc. À chaque étape de sa vie était attaché un commentaire, qui était toujours le même : « trop ‘‘ceci’’ ou trop ‘‘cela’’ pour prier ». Par exemple, quand l’enfant est dans son berceau : « trop petit pour prier » ; quand il joue : « trop jeune pour prier » ; quand, devenu adulte, il est pris par toutes sortes de tâches : « trop occupé pour prier » ; quand il se délasse : « trop fatigué pour prier » ; quand il entre à l’hôpital : « trop malade pour prier », et à la maison de retraite : « trop âgé pour prier » etc. Vous devinez la fin : on voit cette même personne dans son cercueil, avec ce commentaire : « trop tard pour prier »… C’est si banal, au fond, de passer toute une vie sans Dieu. La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare (Luc 16, 19-31) le rappelle : pour faire le bien, je n’ai que cette vie, « je n’ai rien qu’aujourd’hui » – l’expression est de la petite Thérèse.
« Je vous demande de changer de vie » (MV 19)
Le pape, donc, ne nous amène pas sur le terrain de la miséricorde pour nous bercer d’illusions. Il nous demande franchement de « changer de vie », surtout si nous sommes loin de l’Église. Le fait est assez rare dans la prédication contemporaine pour être signalé : à la suite du Seigneur Jésus et des Apôtres, François prévient ceux qui s’obstinent dans des péchés très graves, comme l’appartenance à des organisations criminelles, que ce temps ne durera pas toujours ; pour eux, comme pour nous, « le jugement de Dieu viendra, auquel nul ne pourra échapper » (MV 19). Mais il n’est pas nécessaire d’en arriver à de telles extrémités pour durcir sa relation avec Dieu dans une impasse éternelle. Le récent message de Carême du pape le souligne : les « superbes », « les puissants », « les riches » qu’évoque le Magnificat de la Vierge Marie, sont sur une pente dangereuse, dont la logique conduit à « une fermeture toujours plus hermétique » du cœur. Se met alors en place une froide cohérence d’endurcissement qui risque de les entraîner à « se condamner eux-mêmes à sombrer dans cet abîme éternel de solitude qu’est l’enfer. » Qui a dit que l’Église ne parlait plus du jugement et de la damnation ? Mais l’Église croit aussi que la miséricorde divine agit dans les cœurs, et qu’il n’y a pas de péché tel qu’elle ne puisse pas l’effacer. Alors, n’attendons pas pour la laisser porter en nous des fruits de conversion, et notamment ces œuvres de miséricorde qui nous seront demandées par Jésus au soir de notre vie : « j’avais faim, et vous m’avez donné à manger… » (Mt 25).
Demandez le programme !
Pour saisir cette occasion exceptionnelle de « changer de vie » en faisant l’expérience personnelle de la miséricorde de Dieu, le pape nous propose plusieurs moyens. Outre les trois pôles traditionnels – que certains appellent astucieusement « les trois ‘‘P’’ du Carême » : Prière, Pénitence, Partage –, voici trois indications que le Saint-Père nous demande de prendre au sérieux :
- écouter la Parole de Dieu, en particulier dans les passages de la Bible qui appellent l’homme à une conversion radicale et dans ceux qui nous font découvrir la miséricorde infinie du Seigneur pour les pécheurs ;
- intensifier la pratique des sacrements, et notamment la réception individuelle du sacrement de Réconciliation, par exemple à l’occasion des « 24 heures pour le Seigneur », les vendredi et samedi qui précèderont le 4e dimanche de Carême ;
- pratiquer « les œuvres de miséricorde », « œuvres corporelles » et « œuvres spirituelles ». Nous en reparlerons bientôt.
François évoque encore d’autres moyens, qui s’étendent à toute l’année jubilaire, comme le pèlerinage vers une « Porte Sainte » et l’envoi de « missionnaires de la miséricorde ». Les prochains mois, nous reviendrons sur ces différents aspects du Jubilé pour mieux les assimiler. Pour l’instant, commençons par « nous donner la peine » – c’est l’un des premiers sens de pénitence ! – de lire et de méditer la bulle du pape François ainsi que son message de Carême. Ce sera déjà un bel effort. Vous n’avez pas le temps ? Permettez-moi une suggestion : dans nos couvents dominicains, en Carême, nous avons en général une lecture à table, au moins pendant quelques minutes. Faites comme nous : à raison d’un court passage par jour, vous devriez avoir de la lecture jusqu’à Pâques !
• Frère Sylvain Detoc o.p.
Février 2016