La France, terre de mission ou terrain en friche ?
La France, « fille aînée de l’Église » est-elle devenue une « terre de mission » ? L’image ne renvoie pas à des pays lointains, à un passé révolu. Déjà, en 1943, un rapport sur « La France, pays de mission ? » relevait la profonde déchristianisation à l’œuvre dans le monde ouvrier. Et comme le rappelle l’Église depuis Vatican II, l’urgence de l’évangélisation s’étend à la « périphérie » de nos communautés comme à l’intérieur de nous-mêmes. Mais qu’en est-il aujourd’hui des fruits de la mission ?
Le recul de la pratique religieuse en France (moins de 5% de pratiquants !) ne transforme-t-il pas notre pays en « friche spirituelle », laissée à l’abandon par une sorte d’apostasie silencieuse ? Une friche est une zone dépourvue d’occupant et d’activité, qui n’est en conséquence plus cultivée, plus productive ni même entretenue où des activités marginales peuvent cependant se développer : pâturage, cueillette, braconnage, chasse ou pêche.
« Jardin à la française »
Le terme s’applique assez bien à la dangereuse pente que prend notre pays. De fait, quarante ans de relativisme moral agissent sur notre pays comme la pulvérisation de pesticides sur un jardin ou la monoculture sur une plantation. Le déracinement à l’œuvre a comme « terni » le charme et l’harmonie de ce joli « jardin à la française » qu’a pu être un pays ouvert à la transcendance, véritable « fille aînée de l’Église ». À l’image du « jardin d’Eden », abîmé par le péché originel et ses conséquences, le « jardin-France » semble laisser le champ libre à l’athéisme, au matérialisme et à l’islamisation… parce que la nature a horreur du vide.
Pour combien de temps ? La culture hors sol peut-elle tenir, elle qui vise le « rendement immédiat » ? Nous le savons : la nature possède sa grammaire, la « loi naturelle » – et celle-ci se rappelle un jour ou l’autre au bon souvenir de notre conscience. La vie des moines médiévaux, dont la règle consistait à prier et à « travailler la terre » – physiquement et spirituellement – pour qu’elle porte du fruit, nous montre que seule « la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable ». Il ne s’agit pas là « d’une aventure dans un désert sans chemin » (pape Benoît XVI lors de son voyage apostolique en France en 2008).
La persécution, semence pour demain
Cette persévérance à soigner le jardin de sa conscience et de son pays portera du fruit, soyons en sûr. L’exemple de nos frères chrétiens persécutés montre avec éloquence la persécution d’aujourd’hui – physique, sociale ou même culturelle – peut être semence pour demain. Il nous montre que Notre Seigneur est toujours à l’œuvre, qu’il nous faut regarder les choses sur le long terme et ne jamais se décourager. « Mon Père (…) est toujours à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » (saint Jean 5, 17).
Silence est à ce titre un film poignant. Son réalisateur, Martin Scorcese, se « rachète » près de 30 ans après le lamentable « la Dernière Tentation du Christ ». Silence a pour cadre historique les terribles persécutions subies par les catholiques japonais au 17e siècle. Il est le récit de deux missionnaires jésuites qui entrent clandestinement au Japon, où le catholicisme est interdit depuis deux décennies, pour retrouver la trace d’un troisième. Leur présence auprès des catholiques clandestins trop heureux de les accueillir leur attirent de nouvelles tortures. Puis, le chantage des bourreaux japonais se tourne contre les missionnaires : « votre présence fait souffrir ceux que vous voulez convertir. Apostasiez, et tout ira mieux ! ».
Le film nous pose des questions « embarrassantes » mais il le fait de façon intelligente : la mission est-elle légitime lorsqu’on conduit autrui au martyre ? Sauver sa vie peut-il justifier des compromissions de l’âme ? Le film peut semer le trouble, certains estimant que le cinéaste encourage à l’apostasie.
Néanmoins, il comporte des notes pleines d’espérance : la piété populaire de ces paysans japonais illettrés, fidèles à leur foi des années durant, malgré les dangers, bouleversés de pouvoir enfin assister à la messe, et la certitude que, malgré notre misère humaine, le Seigneur plein de miséricorde vient toujours au secours de notre foi.
Au fond, Dieu ne permettrait-il pas qu’un pays soit provisoirement laissé en friche, en attendant le « témoignage-relai » des saints dans ce pays ou dans un autre ? Pensons à la Russie, hier chantre du communisme, aujourd’hui foyer de renaissance spirituelle pour le monde chrétien.
Soyons des jardiniers
En conclusion, soyons des jardiniers appliqués à la croissance spirituelle… des tuteurs les uns pour les autres, dans nos familles, nos communautés. Demandons au Seigneur de la fécondité dans notre vie intérieure. Nul besoin d’avoir la main verte, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour partir en « mission », labourer, défricher, extraire les mauvaises herbes, arroser et semer. Ce sont « les minorités créatives qui font l’histoire » (Benoît XVI), en proposant le « trésor de la foi » enfoui au plus secret de leur âme.
Témoignant de l’appel universel à l’évangélisation, ces âmes pourront ainsi répondre au désir de nombreuses personnes assoiffées de Dieu et de la Parole de Dieu.
• Pol Denis
Juillet 2017