« Il n’est pas de vent favorable pour qui ne connaît pas son port » (Sénèque, 4 av. JC – 65 ap. JC)
Le tour du monde en solitaire bouclé par Thomas Coville en 49 jours a réchauffé les cœurs à la fin de l’année 2016, témoignant de la fascination qu’exerce la capacité de l’homme à se dépasser sur les mers. À l’image d’un « Thomas Coville » spirituel, nous sommes appelés à « avancer au large » (Luc 5, 4), après avoir quitté notre « divan bonheur[1] » de spectateur. L’année 2017 pourrait être envisagée comme une traversée vraiment chrétienne, vers le cap de « la Miséricorde, qui demande engagement et sacrifice »[2]. Pour cela, familiarisons-nous avec la carte de navigation (le plan que Dieu nous réserve), emportons une boussole (notre conscience), faisons avec notre humanité (notre voilier), ne laissons pas les vagues à l’âme nous submerger… La mer, dans tous ses états, reflète bien l’existence de l’homme. Elle fait appel à des qualités d’audace et de ténacité qui sont comme l’ancre d’un défi relevé et le gouvernail d’une vie menée avec droiture.
Naviguer en sécurité
Près des côtes, un voilier court le risque de s’échouer s’il ne sait pas se repérer sur la carte marine. L’amer est justement un point de repère fixe et identifiable sans ambiguïté, utilisable pour prendre des relèvements optiques ou pour naviguer sur un alignement – ce peut être un phare, un château d’eau, un clocher… De même que le relevé de trois amers permet de positionner un navire sur la carte, l’Église nous recommande l’utilisation de trois repères fiables – les « trois Blancheurs » – pour naviguer avec assurance… dans le plan de Dieu.
Mais ces trois amers, que Dieu nous donne quotidiennement, offrent bien d’autres qualités qui dépassent tous les autres amers potentiels : ce sont aussi des guides vivants, des lumières dans l’obscurité, des viatiques pour le voyage…
- Le Fils de Dieu d’abord, présent dans l’Eucharistie : comme un amer dont la vue rassure le cœur de l’homme, et le nourrit en plus, il est une Personne dotée du don d’ubiquité qui nous accompagne et nous devance en même temps. « Christ avec moi, Christ devant moi, Christ derrière moi, Christ en moi, Christ au-dessus de moi, Christ au-dessous de moi » (prière de Saint Patrick[3]) ;
- Une femme ensuite, la Mère admirable et Immaculée : l’amer sans tâche est visible de partout grâce à sa pureté étincelante ;
- Une pierre enfin, sur laquelle l’Église du Christ est bâtie (Matthieu 16, 18) : le Saint-Père, et les enseignements qu’il nous donne comme de précieuses instructions nautiques.
Certains adeptes de la « déconstruction » voudraient remplacer ces balises spirituelles, véritables garde-fous qui empêchent les navigateurs de s’échouer sur les récifs de la déshumanisation, par des repères mobiles et sans âme. Mais ils ne pourront rien contre l’Astre d’En-haut, Marie, l’ « Étoile de la mer ». Ce divin instrument entre les mains de Dieu indique la route à suivre au navigateur humble et confiant, quand il a perdu en haute mer tout repère.
Marin-pèlerin sur la planète bleue
Il est nécessaire de se reposer en mer, surtout après une navigation longue et périlleuse… « Perdre du temps » pour contempler silencieusement les étoiles, inspecter la cale, vérifier l’état des voiles… tout ceci contribue également à rendre cette aventure durable et désirable. En outre, s’il le peut, le navigateur se ménagera et planifiera des « escales techniques » dans des ports-refuges, où il remontera les niveaux de ses soutes et remplira son garde-manger.
C’est en se montrant prévoyant, par analogie avec la navigation, qu’un chrétien exprime sa nature profonde de « pèlerin sur cette terre ». Car si la Terre est recouverte d’eaux à 70%, la vocation de l’homme n’est pas de demeurer sur l’océan toute sa vie. Il doit savoir accoster de temps à autres dans un port qu’il aura choisi. Le navigateur-pèlerin se distingue ainsi du navigateur-nomade.
Le premier est un navigateur réaliste et prudent. Il trace sa route, qu’il peut réadapter selon les immanquables imprévus. Il connaît les limites de son voilier, une coque plus ou moins cabossée qui demeure bien peu de chose face à une mer déchaînée. Coque qu’il remet entre les mains de Jésus. Le Seigneur, son véritable capitaine, le veut ardent à remonter au vent de l’Esprit Saint même si sa faiblesse physique ou morale tendrait à l’en éloigner.
Le second se contente de « naviguer à l’estime », sans outils de navigation. Se prétendant libre, il avance, comme « un hamster dans sa roue à aube », connecté H24 à son « choupinet » de téléphone-portable qu’il aime beaucoup, mais « choupinet » inutile quand il n’y a pas de réception possible en pleine mer. Les yeux rivés vers un horizon qu’il rêve naïvement d’atteindre, il laisse sa voile se remplir de courants de pensée matérialiste et individualiste, inutiles courants d’air qui n’ont pas l’efficacité du vent de l’Esprit. Son voyage se résume à une promenade sans but. Dépourvu d’outils de navigation, il ne voit pas les icebergs, ces théories glaciales qui comme le gender (genre) sont d’une dangerosité insondable.
Marie nous offre ces « ports-refuges » où nous mettre à l’abri. Elle connaît par avance nos besoins. Elle sait nous prodiguer ses conseils pour déjouer les pièges tendus par les «pirates », signaler à notre conscience des naufragés pour que nous les recueillions, nous avertir des sémaphores de la pensée unique pour que nous adoptions un virement de bord stratégique. En effet, les skippers l’expérimentent : un changement de cap décisif peut déterminer une victoire. Celle que le chrétien cherche non sur un concurrent extérieur, mais sur le « navigateur-nomade » qui sommeille en lui. « Port-refuge » par excellence, un pèlerinage[4] est justement une occasion favorable pour retrouver nos racines, réparer nos voiles, vérifier nos instruments de navigation… Et surtout, pouvoir réorienter notre traversée maritime vers son « port surnaturel », but de notre pèlerinage sur la Terre !
La France : une vocation maritime… et spirituelle
La géographie et l’histoire ont doté la France d’une gigantesque superficie maritime grâce à ses départements, territoires et collectivités d’Outre-mer, la deuxième au monde ! Le potentiel économique, politique, social et scientifique[5] qui en découle est pourtant contesté, refoulé ou ignoré par une partie de nos élites, même si l’on observe aujourd’hui un sursaut. Quel paradoxe de vouloir nier à ce point le principe de réalité ! Le constat n’est pas très éloigné quant à la vocation de la Fille aînée de l’Église : heureusement, des « guetteurs sémaphoriques » – parmi lesquels les « veilleurs » et organisateurs de la Marche pour la vie – adressent des signaux lumineux aux « navigateurs-nomades » endormis sur leur barre pour les sortir de leur torpeur.
L’appel du Christ « Venez et voyez » (Jean 1, 38-29), relayé par saint Jean-Paul II aux JMJ de Paris en 1997[6] vient à contrecourant des idées préconçues. Notre Seigneur n’a pas choisi pour nous la facilité : il ne nous dit pas « regardez bien ce que vous réserve 2017, puis larguez les amarres ! ». Il ne réclame pas non plus un « permis hauturier » pour naviguer. Au terme de l’année de la Miséricorde, nous avons compris qu’une « seule carte d’identité » nous permettrait d’être reconnus « aptes » à former l’équipage du Christ : l’amour gratuit, infiniment patient, qui ne se refuse à personne (cf. 1 Co 13, 4-7).
• Pol Denis
Février 2017
[1] cf. https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2016/july/documents/papa-francesco_20160730_polonia-veglia-giovani.html
[2] http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/apost_letters/documents/papa-francesco_bolla_20150411_misericordiae-vultus.html
[3] http://catholiquedu.free.fr/prieres/STPATRICK.htm
[4] Qu’importe le moyen (à pied, à vélo, à moto, en car, à cheval ou sur un âne), la destination (dans un lieu de culte reconnu par l’Église catholique), la durée : même une journée – comme celle des « pélés éclair » organisés par l’Unité – peut nous attirer le « coup de foudre » de la rencontre amoureuse avec Notre Seigneur.
[5] http://www.lesechos.fr/14/12/2005/LesEchos/19561-500-ECH_l-or-bleu-les-atouts-maritimes-de-la-france.htm
[6] http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/youth/documents/hf_jp-ii_mes_15081996_xii-world-youth-day.html