2014 – 1264 – 1214
Ne croyez pas que cette combinaison de chiffres évoquée dans le titre de cette chronique est la clé magique pour gagner au Super Loto ou à l’Euro millions, ou qu’elle soit la dénomination de nouvelles bières concurrençant celle au millésime si célèbre ! Non, il s’agit tout simplement de deux dates anniversaires qu’il me paraît important d’évoquer alors que nous débutons cette nouvelle année de « l’an de grâce » 2014. Cette expression ancienne est tout à fait indiquée puisque ces deux anniversaires nous ramènent au 13e siècle. Notre Mouvement aura donc à cœur de fêter spécialement le 750e anniversaire, celui de 1264, lors du pélé nocturne de juin (133e nuit de prière). Pour le second anniversaire, celui de 1214, il sera l’occasion d’en faire mémoire au cours des messes des trois pélés nocturnes de cette année.
À moins que vous ne soyez férus d’histoire de l’Église et d’histoire de France, je sens bien que ce paragraphe introductif ne vous a pas encore éclairé sur mon propos. Commençons donc par lever le voile sur l’année 1264. Le pape Urbain IV, le 11 août, institue pour l’Église universelle la « Fête Dieu », fête du Saint Sacrement ou encore, selon le terme officiel d’aujourd’hui, « la solennité du corps et du sang du Christ ». Avant d’être fêté dans le monde entier, c’est d’abord dans le diocèse de Liège, 18 ans auparavant, que le culte de cette fête est institué grâce à l’action de sainte Julienne de Cornillon, une mystique, prieure du couvent-léproserie augustinien du Mont Cornillon, en Belgique. Elle sera épaulée par la bienheureuse Ève de Saint-Martin, cistercienne après avoir été béguine (v. sur internet ce qu’est le béguinage qui renait aujourd’hui sous des formes variées). Que de divines inspirations et de bienfaits les hommes et le monde reçoivent du Saint Sacrement lorsqu’ils prennent le temps de l’adorer et de méditer en sa présence !
Afin de mieux comprendre l’origine de cette fête, voici un extrait de l’enseignement du pape Benoît XVI (audience générale, 17 nov. 2010) : « Elle [Julienne] acquit une culture considérable, au point de lire les œuvres des Pères de l’Église en latin, en particulier saint Augustin, et saint Bernard – [elle connaissait par cœur certains sermons de saint Bernard]. – Outre sa vive intelligence, Julienne faisait preuve, dès le début, d’une propension particulière pour la contemplation ; elle possédait un sens profond de la présence du Christ, dont elle faisait l’expérience en vivant de façon particulièrement intense le sacrement de l’Eucharistie et s’arrêtant souvent pour méditer sur les paroles de Jésus : “Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20). »
Et le pape de continuer : « À l’âge de seize ans, elle eut une première vision, qui se répéta ensuite plusieurs fois dans ses adorations eucharistiques. La vision présentait la lune dans toute sa splendeur, dont le diamètre était traversé par une bande noire. Le Seigneur lui fit comprendre la signification de ce qui lui était apparu. La lune symbolisait la vie de l’Église sur terre, la ligne opaque représentait en revanche l’absence d’une fête liturgique, pour l’institution de laquelle il était demandé à Julienne de se prodiguer de façon efficace : c’est-à-dire une fête dans laquelle les croyants pouvaient adorer l’Eucharistie pour faire croître leur foi, avancer dans la pratique des vertus et réparer les offenses au Très Saint Sacrement. »
Laissons le pape poursuivre : « Pendant environ vingt ans, Julienne, qui entre-temps était devenue prieure du couvent, conserva le secret de cette révélation, qui avait rempli son cœur de joie. Puis elle se confia à deux ferventes adoratrices de l’Eucharistie, la bienheureuse Ève [de Saint-Martin], qui menait une vie d’ermite, et Isabelle, qui l’avait rejointe dans le monastère du Mont-Cornillon. Les trois femmes établirent une sorte d’« alliance spirituelle », dans l’intention de glorifier le Très Saint Sacrement. Elles demandèrent également l’aide d’un prêtre très estimé, Jean de Lausanne, chanoine de l’église de Saint-Martin à Liège, le priant d’interpeller les théologiens et les ecclésiastiques au sujet de ce qui leur tenait à cœur. Les réponses furent positives et encourageantes.
Ce qui arriva à Julienne de Cornillon se répète fréquemment dans la vie des saints : pour avoir la confirmation qu’une inspiration vient de Dieu, il faut toujours se plonger dans la prière, savoir attendre avec patience, chercher l’amitié et la confrontation avec d’autres bonnes âmes, et tout soumettre au jugement des pasteurs de l’Église. Ce fut précisément l’évêque de Liège, Robert de Thourotte, qui, après avoir hésité au début, accueillit la proposition de Julienne et de ses compagnes, et qui institua, pour la première fois [en 1246], la solennité du Corpus Domini dans son diocèse. Plus tard, d’autres évêques l’imitèrent, établissant la même fête dans les territoires confiés à leurs soins pastoraux. » http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2010/documents/hf_ben-xvi_aud_20101117_fr.html
L’autre date, 1214 (25 avril), correspond au 800e anniversaire de la naissance de Louis IX de France : saint Louis. Ce saint chef d’État a fait preuve d’une qualité fondamentale : il a toujours essayé de conformer sa foi au Christ non seulement dans sa vie personnelle – même roi, il vivait en homme religieux et dévot (et non bigot), très proche des dominicains et des franciscains –, mais, ce qui est peut-être plus remarquable, également dans sa vie de monarque. Ce « sacerdoce royal » a guidé en permanence son action politique qui était emprunte d’une haute et forte action morale (on parlerait aujourd’hui d’éthique) en vue du bien de la France et de ses sujets. Il est ainsi volontairement qualifié par certains historiens de « Roi-Christ » (non de Christ-Roi). Il a mis Dieu au centre de sa vie dans tous les domaines, et n’a pas réservé une partie privée pour la foi et une partie publique pour l’action politique déconnectée de la foi. Il est parvenu ainsi à réaliser une unité intérieure assez parfaite sur ces deux plans.
Par ailleurs, autant saint Louis a servi, honoré et protégé et l’Église, autant, ayant parfaitement conscience de son rôle temporel de roi et de la grandeur de sa vocation laïque, il a toujours lutté contre l’intrusion du clergé et de la papauté dans les pouvoirs légitimes du roi, de l’État (« Alors, rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Luc 20, 25) – « le roi de France est empereur en son royaume »). Saint Louis remet bien en avant tout le rôle qui revient aux laïcs dans la construction de la cité terrestre en vue du Royaume des cieux. Et, parce que profondément chrétien, ce roi n’hésitera pas non plus à faire des remontrances à l’Église quand ses prélats, fussent-ils évêques, voire pape, feront preuve d’avidité et de cupidité. À deux reprises, il n’hésitera pas ainsi à demander au pape de choisir des cardinaux et des prélats vraiment religieux.
De la transcendance qu’il avait de son action lui donnant une grande force morale pour être un homme de paix, d’ordre et de justice, nous lui demanderons donc d’en inspirer ceux qui ont des responsabilités politiques. Puisque « la politique est le domaine de la plus vaste charité » (Pie XI), le Mouvement Pour l’unité, au cours des messes des 3 pélés nocturnes de 2014, insistera tout particulièrement sur la prière pour les chefs d’État, comme le demande d’ailleurs saint Paul (v. 1 Tm 2, 1-2). Certes, au 21e siècle, c’est par le vote démocratique que des hommes accèdent aux plus hautes responsabilités dans la plupart des pays, mais cette élection humaine reste toujours une permission de Dieu comme l’a dit le Christ à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut » (Jn 19, 11). Notre monde, et surtout la France, qui se sécularise en pensant que laïcité équivaut à rejet de Dieu et à toute transcendance, aurait quelque peu tendance à l’oublier, ne croyez-vous pas ?
Vincent Terrenoir